jeudi 15 septembre 2011

Celle qui n'arrive qu'une fois... la Première



Sud de la France, septembre 2010, forum des associations. Au détour d’une allée je tombe sur une bande de franc rigolards équipés de palmes et de bouteilles (plus tard, j’apprendrais que l’on dit blocs). On discute, je laisse filer mon imagination. Le hasard des rencontres, la perspective de la nouveauté et puis, après avoir ridé les sommets enneigés, plané dans le ciel, glissé sur cette étendue bleue, pourquoi pas voir ce qui se passe en-dessous ? Enfin l’occasion de tordre le bras aux monstres des grands fonds (dixit  « Les Dents de la Mer », merci Spielberg). Il était une fois… la promesse d’un nouveau territoire. Quelques formalités plus tard, me voilà donc l’heureux possesseur d’une licence FFESSM pour l’année 2010 – 2011.

Les mois défilent doucement. Petit à petit, ce sont chaque instants libres qui sont tournés vers un seul objectif, une seule découverte, celui de faire des bulles. C’est avec assiduité que je suis les entrainements bihebdomadaires en piscine. Vidages de masque, saut droit, assistances. Des soirées de théorie pour compenser la frustration. Les bouquins de Niveau 1 à 4 en ont fait les frais. Passage au Nitrox puis Trimix théorique, le soir dans mon lit. Réminiscence de cours de physique : compression, détente, compression, détente... Je suis un gaz. Pressions partielles… Dissous, je sursature. Dans une lyre de transfert,  je deviens hyperoxique. Je suis dans la boucle, je fais chauffer la chaux. Délires psychotiques d’un état de manque chronique.
Les kilomètres défilent. L’eau est limpide, cristalline et bleuté mais toujours aussi chlorée. Soirée pâtes, eau frémissante, une pincée de sel… pas vraiment iodé. Changement de régime, poisson au déjeuner.




Et puis, une phrase, un appel, une libération : « Tu fais quoi dimanche prochain ? ».
L’excitation monte. Je refais le tri dans mes achats compulsifs, détendeur ok, combi, ok, stab, ok, la lampe fonctionne. Le sac, merde, trop petit. Tant pis.
Dimanche matin, le sourire collé aux lèvres je croise les gendarmes sur le route de La Pointe Rouge : « Contrôle d’alcoolémie […], ha, vous êtes aussi plongeur, bon, circulez».


La vraie découverte commence. L’iode d’abord, me chatouille les narines. Le son des drisses ensuite, claquant contre les mâts, elles semblent répéter les gammes d’un récital trop longtemps oublié. Je retrouve les copains, on décharge le matos des voitures. Premières fois que je mets les pieds dans un club de plongée avec la mer à côté et de vrais bateaux pour plongeurs. Le directeur de plongée constitue les palanquées. Je suis le mouvement. Il fait frais dehors, on est encore en janvier. C’est étrange comme les sons et les odeurs sont différents aujourd’hui. L’excitation probablement et pourtant, je suis serein, à ma place. L’attente est passée.

Je gré le bloc sur mon gilet, fais toutes les vérifications, plusieurs fois. On est une dizaine sur le semi-rigide. Je plains la dernière palanquée, affublée d’une épave encore imbibée de la veille, qui vide déjà ses tripes sur le trajet. La mer est calme. Un collègue me ferme la combi. L’ile de Jarre est en vue. Mouillage à l’ouest de la Pierre de Briançon. Et c’est parti.

Avec mon N4, qui m'a suivi jusque-là, nous sommes les premiers à l’eau. Après les derniers contrôles de surface, pouce vers le fond, je fais mon plus beau phoque. Et là, il faut bien l’avouer, ce fut un grand moment de solitude. Je flotte. On est dans le bleu, il me manque 3 kilos de lest avec ma semi-étanche toute neuve. J’ai beau purger encore et encore ma stab, rien n’y fait, Archimède est contre moi, j’ai le cerveau vide, je ne sais plus rien. J’envoie un canard et nage vers le fond comme je peux. 30 bars de sifflé dans le bloc. C’est le vide complet...

Une main se tend, retour à la réalité. Mon guide de palanquée m’aide à descendre tranquillement. Toujours pas de fond en vue, trop tard pour se demander quel genre de requin pourrait bien venir me croquer. On passe 5-6 mètres au jugé. Les oreilles passent facilement, la couleur  du fond change. 10 mètres, je distingue des rochers, 15 mètres, les premiers sars, 18 mètres on touche le fond. Entrée dans une autre dimension. La pression à fait son office, je ne fais plus bouchon et me réconcilie avec Archimède, pour l’instant du moins. Mon cœur ralenti un peu.

Je lève la tête et je suis frappé par ce que je contemple. La surface me renvois une sensation étrange, comme l’envers d’un miroir. Le changement de perspective est frappant. Je regarde toujours la mer, mais ma vision s’est enrichie d’une autre dimension. Je vois à la fois le fond et la surface alors que l’espace au-delà, celui dans lequel nous évoluons habituellement a disparu. Je prends conscience que sous cette étendue d’eau, sous ce bleu sans fin, il existe autre chose, riche d’une existence que je m’apprête à découvrir. À l’instar des bipèdes non palmés qui ne connaissent que la surface, il est également étrange de penser que cette vie sous-marine n’a probablement pas conscience qu’il existe un monde en dehors de l’eau. Un petit pas pour l’humanité, mais quel pas de géant pour moi.

Je galère encore. Trop de changements de repères. L’exploration commence. C’est un défilé de concombres, de sars, un spirographe ou quelque chose approchant, une petite étoile de mer suivit d’une autre, absolument énorme. Un premier congre dans une anfractuosité me fait de l’œil ou plutôt semble hésiter à me sauter dessus... C’est génial mais mon équilibrage hasardeux commence à monopoliser mon attention. Un coup de purge, je me stabilise et s’est décidé, je ne touche plus à l’inflateur. Révélation, je redécouvre le poumon ballast. C’est si simple et reposant. Un peu de patience et l’inertie fait le reste. Un sentiment de plénitude m’envahis. On est à 20 mètres, le fond à 25 semble si accessible, si proche. Pourquoi ne pas passer dans ce tunnel ? Et puis tout revient, théorie, exercices, conseils de prudence, courbe de sécurité… Je recolle mon guide de palanquée, légèrement au-dessus. Je corrige mon positionnement en évitant les grands coups de palme pour ne rien abîmer.

Nous nous trouvons à l’entrée d’une petite grotte. Posé sur le fond je m’émerveille, je m’étonne, je souris, non que dis-je, une espèce de banane s’est collée sur mon visage. Elle est tellement énorme qu’il faut que je fasse attention à ne pas boire la tasse. Tête en haut, tête en bas, sur le ventre et sur le dos, je vole au milieu de bancs de poisson aucunement farouche. Le deuxième congre que nous croisons semble déjà moins effrayant. J’apprendrai plus tard que nous aurions même croisé un barracuda et un mérou. Disons que j’ai vu passer quelques choses au loin… Je prends conscience de ce nouvel univers, et des merveilles à découvrir, du plaisir d’être en apesanteur, mais aussi, du chemin à parcourir vers l’autonomie, vers un semblant de maîtrise. La mi- pression est passée il y a 10 minutes déjà, et nous sommes bientôt revenus à notre point de départ. On remonte progressivement. A 3 mètres on se stabilise. J’essaie de mettre dans une poche à plomb un kilo de lest supplémentaire pour pouvoir tenir le palier. Je focalise et doucement, doucement, je remonte. Et voilà mon ami « Archi » qui fait encore des siennes et profite de mon inattention pour me faire sortir la tête de l’eau sans crier gare. Moi qui étais si fier de mon équilibrage… en piscine.

La plongée se termine, heureux. Mon guide de palanquée semble un peu congelé dans cette eau à tout juste 12 / 13 degrés. Je suis bien. J’aimerais déjà redescendre. Une autre fois, bientôt.
Retour au bateau, retour à terre, retour à la maison. Il me semble prendre conscience d'une nouvelle partie de moi, restée ailleurs et qui m’appel. Une odeur d’iode, un bruit de bulles, le chant des vagues. Une luminosité différente. Ailleurs, une autre dimension. Je serais bientôt là, de retour.

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